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NOTE DE LECTURE

LE SORCIER DE L'ELYSEE

L'HISTOIRE SECRETE DE JACQUES PILHAN

FRANCOIS BAZIN Edition PLON

Avec "Le sorcier de l'Elysée", François Bazin a le bonheur de nous conduire à trois lectures parallèles autour de Jacques Pilhan.

D'abord et surtout l'histoire personnelle, parfois intime, de ce jeune bordelais, Jacques Pilhan, sorte de "petit chose" un peu perdu, un peu décalé qui "montera" vers la capitale dans les années 1970 déjà passionné de jeu –le poker- et de communication. Nourri de Guy Debord et d'études de la COFEMCA sur la société française, le voici aux premières loges lorsque Jacques Séguéla qu'il vient de rejoindre, se mêle de faire la campagne présidentielle de François Mitterrand pour 1981. Pilhan jouera les premiers rôles. La suite on la connaît. Pour Pilhan, un temps mort après mai 81.

On le retrouve -en duo avec son "interface" côté Mitterrand, Gérard Colé- en charge de la communication du Président à partir de 1983, alors que les choses ne vont pas au mieux pour l'Elysée. Pilhan tirera d'une certaine façon les ficelles pour amener son illustre client à communiquer autrement. Qu'on se souvienne des "Ca m'intéresse Monsieur le Président" avec Yves Mourousi… Mais déjà, sous le conseiller en com, perce l'homme d'influence qu'il voudra devenir sans peut-être déjà se l'avouer. Fut-il autant que le montre François Bazin l'architecte de la cohabitation Mitterrand-Chirac? Pilhan, en tous cas, sut en définir les codes et la tourner à l'avantage du Président.

Mais notre héros, fort de ses succès, se diversifie dans ses conseils, prend en main Michel Rocard Premier ministre (à l'insu de l'Elysée), donne des conseils à Jospin, "coache" Bernard Tapie, joue les mentors avec Julien Dray et ne refuse pas les contrats avec tel ou tel groupe industriel, en même temps qu'il tente sans succès de se positionner lui-même à la tête de l'agence Havas. Mais Pilhan n'est pas que pur esprit; avec les années la gourmandise de l'argent est venue, l'appétit de notoriété aussi. Celui qui se voulait couleur de muraille, n'apparaissant jamais que dans le clair obscur tout au long du premier septennat, prend du relief et veut enfin accrocher la lumière.

Son influence, son impact auprès du président vieillissant et malade demeure mais décline. Et c'est contre son avis que Mitterrand nomme Edith Cresson à Matignon. Mais il continue de se vouloir marionnettiste; il tentera, sans succès d'aider Cresson (à la demande de l'Elysée) mais déjà il travaille sur le "casting" du gouvernement suivant. Ca y est, le conseiller en com est devenu une sorte d'éminence grise. Il le restera pour assurer la victoire "tangente" du référendum sur le traité de Maastricht.

Faiseur de rois, Pilhan voudra le rester dans ce septennat finissant. 1993, entre les deux tours des législatives victorieuses pour la droite, il dîne avec un certain Nicolas Sarkozy, histoire d'amener Balladur à Matignon…

Mais très vite la perspective des présidentielle 95 pointe à l'horizon de Jacques Pilhan. Et voici notre Gépetto des temps modernes à envisager de gérer en même temps le locataire de l'Elysée affaibli et malade, François Mitterrand et un de ses successeurs possibles, pas Balladur mais… Chirac, à la demande, indirecte, de celui-ci.

A cheval donc –dans la plus totale clandestinité- pour le Maire de Paris tout en continuant d'accompagner Mitterrand qu'il aidera par exemple à surnager en pleine affaire Bousquet.

Quel fut exactement le rôle de Pilhan dans la victoire de Chirac sur Balladur puis sur Jospin ? Essentiel quoiqu'occulte laisse entendre Bazin. Le fait est que d'un Président l'autre, voici notre Pilhan prêt à opérer un "transfert" qui en étonnera plus d'un, à droite comme à gauche. "Quel culot, ce Pilhan." aurait lâché François Mitterrand.

Mais ce coup-ci les projecteurs sont allumés. Pilhan, est en pleine lumière, sa photo est dans tous les journaux. Son portrait fera même la une de l'Express qui lui consacre tout un dossier. Le voici officiellement proclamé "gourou" de la République

Mais, Mitterrand n'est pas Chirac. Pour Pilhan, 1995 ne ressemble guère à 1983. Ou peut-être l'art du sorcier s'est-il émoussé. Les années Chirac de Pilhan seront moins heureuses que les années Mitterrand. Surtout il se heurte de plus en plus souvent à Dominique de Villepin, le secrétaire général de L'Elysée. Et puis le gouvernement plonge dans l'impopularité et puis l'élève Chirac accumule les "bides" télévisés malgré les conseils du maître Pilhan. Tout se détraque. Jusqu'à la dissolution de 1997 à laquelle il s'efforcera -en vain-  de faire donner du sens à Chirac.

Le voici qui entame la gestion de "sa" troisième cohabitation, avec déjà une cible, faire réélire Jacques Chirac en 2002. La maladie, cruelle, ne lui en laissera pas le temps. Il meurt à l'aube de l'été 1998.

 

Deuxième lecture: derrière ce parcours aventureux, en filigrane, défile toute la politique française des décennies 80-90: les rivalités internes (Fabius-Jospin, Mitterrand- Rocard, Chirac-Balladur) mais aussi le tournant de la rigueur de 1983, les méandres de la cohabitation 86-88, les ambigüités du second septennat de François Mitterrand… Vue au travers du prisme de l'action de Jacques Pilhan, l'histoire de ces deux décennies s'enrichit bien sûr de détails inédits. Peut-être, à l'occasion, François Bazin, fin connaisseur de la période, a-t-il cependant enluminé quelque peu le rôle joué par Pilhan. N'empêche, ce furent deux décennies marquées par la com. Ce que Pilhan précisément avait pressenti dès les années 70 et qu'il synthétisa en une formule servie à Mitterrand: le Président est un "Jupiter tonnant". D'où la nécessaire rareté de sa parole. D'où la nécessaire cohérence dans le temps des actions et des interventions présidentielles. De fait, on ne saurait lire cet ouvrage passionnant sans penser à aujourd'hui et à Sarkozy qui, dans un vocabulaire "pilhanien" se voudrait à la fois l'incarnation de Jupiter et de tous les dieux de l'Olympe à la fois… Qu'en dirait Pilhan?

 

La troisième lecture du livre de François Bazin pourrait être plus idéologique et interpelle le lecteur sur le rôle exact du conseiller par rapport au décideur politique. Lorsque Pilhan se mêle de proposer au Président le "casting" d'un gouvernement ou de le dissuader d'adopter ou d'infléchir telle décision, ou d'encadrer telle autre dans une rhétorique précise, comme ce fut le cas tant avec le client Mitterrand qu'avec le client Chirac, outrepasse-t-il son rôle? Paradoxe, si Pilhan fut, à n'en pas douter, un mitterrandien engagé, il n'avait que mépris pour les socialistes et ne se voulait en rien de gauche. Sans doute fut-il pour quelque chose dans le recentrage du deuxième septennat Mitterrand. Pas davantage de droite, sans doute se prit-il simplement au jeu de faire gagner Chirac.

Pour le dire autrement, et l'interrogation demeure très actuelle: la politique aujourd'hui ne se nourrit-elle que de communication? Suffit-il à l'homme politique de répondre à tout instant à l'état momentané de l'opinion fut-elle formidablement appréhendée par un collaborateur?

Le livre de François Bazin, ce n'est pas son moindre mérite, conduit à se poser cette question avec ce qu'elle comporte de difficile mais de déterminant pour le lecteur épris de démocratie.

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