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journaliste, homme de presse écrite, de radio et de télévision.

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Non, 2018 n’est pas une réplique de 1995, mais…

Plus de vingt ans après, il est de bon ton (médiatique) de rapprocher la volonté du gouvernement d’Edouard Philippe de réformer la SNCF et les mouvements syndicaux qui s’annoncent/s’amorcent avec les épisodes qui ont accompagné le plan Juppé de 1995.

Que prévoit ce plan annoncé à la mi-novembre 95: l’alignement des régimes spéciaux de retraites ‑SNCF (déjà), RATP, EDF- sur le régime général, l’allongement de la durée de cotisation des fonctionnaires, des restrictions sur les remboursements de l’assurance maladie, le blocage et l’imposition des allocations familiales et une réforme générale mais très relative de la sécurité sociale pour l’essentiel.

Alors que quelques mois plus tôt, Jacques Chirac vient de remporter l’élection présidentielle en jouant sur la corde sensible de la fracture sociale, le plan Juppé est ressenti, d’une façon assez générale comme un tête-à-queue, voire un reniement de la parole donnée.

Droit dans ses bottes

S’ensuivent les plus importants mouvements sociaux depuis des décennies: 6 millions de journées de grève sur trois semaines surtout dans les transports et des manifestations massives sous l’égide du slogan « tous ensemble ! ». 

« Droit dans ses bottes » de l’annonce de son plan aux manifestations très suivies du 5 décembre, le Premier ministre finit par mollir. Il renonce à réformer les régimes spéciaux de retraite et l’allongement de la durée de cotisation des fonctionnaires, tout en maintenant le projet de réformer la sécurité sociale, ce qui se fera par ordonnances (tiens donc, déjà !!) l’année suivante.

Mais, si l’on peut dire, « le ver est dans le fruit de l’opinion ». Mois après mois, sondage après sondage, la popularité de l’exécutif (Chirac-Juppé) s’étiole, tandis que nombre de députés de la large majorité qui le soutient sonnent le tocsin chaque lundi, retour de leurs circonscriptions. Les élections législatives prévues pour 1998 s’annoncent difficiles, la situation économique se dégrade… Bref, Jacques Chirac qui refusait toute perspective de dissolution à la mi-96 finit par se rallier à l’idée. Et il dissout donc l’Assemblée Nationale le 21 avril 1997 : « Des élections anticipées peuvent nous donner une vigueur nouvelle » se justifie-t-il alors devant les Français. Ces élections ont lieu en mai-juin. La gauche en sort vainqueur ce qui conduit Lionel Jospin à Matignon et institue une nouvelle cohabitation…

C’est la toute première partie de ce scénario (novembre-décembre 95), de l’annonce du plan Juppé à la capitulation du gouvernement sur la réforme des retraites, qui inspire aujourd’hui nombre de commentaires et qui fait peut-être rêver tout éveillés certains syndicalistes, comme l’illustre la perspective d’un mois de grève des cheminots avancée par la CGT ou de journée de grève reconductible proposée par la CFDT.

Soutien de l’opinion

Comparaison n’est pas raison. Aujourd’hui, le contexte d’abord est bien différent. Emmanuel Macron a été élu cartes sur table, même s’il a bénéficié d’un alignement spectaculaire des planètes politiques. Pas de rupture donc avec ses engagements pré-électoraux. Edouard Philippe, tout juppéiste qu’il fut, se veut aux antipodes du « droit dans ses bottes ». Et s’il menace de passer en force, à coup d’ordonnances, il le fait d’une voix doucereuse tout en appelant à la concertation. Manière de renverser la charge de la preuve.

Sur le fond, ensuite, les mesures annoncées paraissent peu susceptibles d’entraîner un mouvement social d’ampleur nationale comme en 95. En particulier la refonte du statut des futurs cheminots n’atteint pas ceux déjà en place, tandis que, effectivement -hors TGV- les services rendus par la SNCF ne sont plus ce qu’ils étaient... Les usagers le ressentent.

Il semble d’ailleurs que le gouvernement recueille un certain soutien, voire une forte neutralité, de l’opinion publique. Selon le sondage Harris interactive pour RMC et Atlantico publié au lendemain des annonces du Premier ministre, 69% des Français se déclarent en faveur de la fin du statut de cheminot, tandis que 54% (versus 46%) sont favorables au recours aux ordonnances. Les sondages certes peuvent fluctuer, mais, à ce jour, on paraît assez éloigné du « tous ensemble ! » d’il y a vingt‑trois ans.

Reste que le jeu d’Emmanuel Macron se complique quelque peu avec cette réforme de la SNCF. Un pas supplémentaire qui vient s’ajouter à la grogne des partenaires sociaux qui se sentent, à tout le moins, peu écoutés par l’exécutif. Bien que s’étant mis d’accord -difficilement- sur la réforme de la formation professionnelle, puis sur celle de l’assurance chômage, ils se voient quasiment désavoués par le gouvernement qui entend aller au-delà de ces accords.

Ce faisant, multipliant les réformes, Emmanuel Macron prend le risque de « coagulation des mécontentements » : retraites pénalisées par la CSG, promesses de pouvoir d’achat qui reculent dans le temps, réforme de la fonction publique… venant s‘ajouter à la colère préventive des cheminots et aux doutes des partenaires sociaux. Le risque est sans doute calculé. Même si 2018 n’est pas une rebelote de 1995, reste que la météo sociale a parfois de ces inventions qui bousculent tous les calculs.

Sylvain GOUZ

(27/02/2018)

 

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Sylvain GOUZ a créé et anime MEDIΔGOUZ, la structure qui abrite ses activités de journalisme et de conseil media...

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