Jacques DELORS, fragments de souvenirs
1971, DELORS est conseiller
social du Premier ministre
Jacques CHABAN-DELMAS. En fait
son champ d’intervention va bien
au-delà du « social », avec
Simon NORA, il est l’inspirateur
du discours de 1969 sur la
Nouvelle Société.
A l’époque, jeune journaliste à
COMBAT, en charge depuis peu des
rubriques économique et sociale,
je me prépare à commenter le
projet de budget établi par le
ministère des Finances,
autrement dit par Valéry GISCARD
D’ESTAING dont les rapports avec
CHABAN et son équipe ne sont pas
empreints d’une extrême chaleur
.
GISCARD doit présenter ce projet
de budget lors d’une conférence
de presse ce 12 octobre 71. La
veille, je reçois à COMBAT, un
appel téléphonique : « M. GOUZ,
puis-je vous passer M. Jacques
DELORS… » C’était bien lui, qui
me dit souhaiter me rencontrer
pour m’exposer son point de vue
sur le projet de budget de
GISCARD. Un point de vue fort
éloigné, on l’imagine, de celui
développé le lendemain par le
ministre des Finances.
DELORS met en valeur les aspects
« sociaux » du budget, tandis
que GISCARD pointe le côté «
rigoureux » de son projet. Je
suis plutôt convaincu par l’un
que par l’autre. Au point que
dans COMBAT le lendemain, mon
commentaire du projet présenté
est titré « A la suédoise »
reprenant l’argumentation du
conseiller de CHABAN.
Tout au long des années 1970, je
rencontre DELORS assez souvent ;
surtout dans le cadre du club de
réflexion qu’il a fondé, «
ECHANGE ET PROJET » où se
retrouvent des patrons
(progressistes) des
syndicalistes (surtout de la
CFDT), des économistes… et
auquel DELORS m’a convié. Là se
dessinent les contours d’une
social-démocratie à la
française.
Au passage, un épisode qui se
situe au lendemain des élections
législatives (perdues par la
gauche) de 1978. A ce moment, au
QUOTIDIEN DE PARIS, un peu
l’héritier de COMBAT, la
rédaction se mobilise contre
Philippe TESSON qui en est le
Directeur. Nous réclamons des
augmentations de salaires, étant
jusque-là rémunérés aux minima
conventionnels. Et pour donner
du poids à notre action, nous
décidons 2 heures de grève (ce
qui n’handicape pas la sortie du
journal). Un geste pourtant
insupportable pour TESSON qui
décide purement et simplement de
fermer le journal. C’est là que
DELORS intervient. Il connait
TESSON. A ma demande, il tente
une médiation. Sans succès.
TESSON s’obstine et ferme
effectivement alors Le
QUOTIDIEN, pour le faire revenir
dans les kiosques un an plus
tard avec une autre équipe
rédactionnelle, franchement de
droite.
Vient 1981. Bien évidemment, du
Nouvel Economiste à RTL puis à
TF1, traitant de l’économique et
du social, j’entretiens des
rapports professionnels
fréquents (et cordiaux) avec le
Ministre de l’Économie et des
Finances qu’est devenu DELORS.
IL FAUT EN ÊTRE...
Un souvenir parmi tant d’autres
: mars 1983,la scène se passe à
Bruxelles, au siège de ce qu’on
nomme encore la CEE. Les
ministres des finances européens
sont réunis pour fixer de
nouvelles parités entre les
différentes monnaies . Le franc
est en difficulté. Une nouvelle
dévaluation se révèle nécessaire
-la troisième depuis mai 81-.
DELORS se bat pour obtenir
parallèlement une réévaluation
du mark. Bref, nous les
journalistes patientons en
attente d’une décision. Lorsque
Jacques DELORS sort de la
réunion, avant tout accord, et
nous confie cette phrase
sibylline. « Il se passe des
choses importantes à PARIS… il
faut en être ».
De fait, François MITTERRAND est
alors partagé entre ceux (ses «
visiteurs du soir » dont Jean
RIBOUD, François DALLE, Jérôme
SEYDOUX et bien sûr Jean-Pierre
CHEVENEMENT) qui lui conseillent
de sortir la France du système
monétaire européen et de
s’affranchir des contraintes
liées à l’Europe et ceux qui
l’adjurent d’y rester et
d’adopter une politique de «
rigueur » (qui ne dira pas
vraiment son nom du reste !) ;
avec Pierre MAUROY, Jacques
DELORS est de ceux-là. C’est,
semble-t-il, alors, que
MITTERRAND lui propose le poste
de Premier ministre. Dans cette
hypothèse, DELORS désire détenir
également le ministère des
Finances… ce que le Président
lui refuse. Pourtant sur le
fond, en définitive c’est la
thèse MAUROY-DELORS qui
l’emporte…
Voilà quelques bribes de
souvenirs. Je n’ajouterai rien à
propos du Président de la
Commission européenne que
Jacques DELORS devient ensuite
-tout est dit dans les réactions
à sa disparition-. Dans ma
mémoire pourtant demeurent
encore, par la suite, quelques
rencontres plus personnelles et
toujours chaleureuses. Je me
réjouis d’avoir pu l’accompagner
tout au long de sa formidable
épopée.
Sylvain GOUZ
(28/12/2023)