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journaliste, homme de presse écrite, de radio et de télévision.

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DSK et télévision : c’est toujours l’image qui prime

Le traitement médiatique de l’affaire Strauss-Kahn a suscité à foison de multiples débats directement liés au contenu éditorial: fallait-il évoquer plus que cela a été dans le passé les rumeurs sur le comportement de l’intéressé ? Comment arbitrer entre le respect de la vie privée et l’obligation d’informer ?...

Au-delà, notamment par la place occupée désormais par les chaînes d’information continue, on ne saurait se dispenser, un peu plus à froid, de discuter des aspects plus strictement télévisuels de ce traitement, autrement dit d’interroger la dialectique sous-jacente entre le montrer  et le dire , la tension en quelque sorte existentielle entre l’image et le commentaire.

Il a été répété à juste titre ici et là que les images d’un homme entravé,  fermement tenu par des policiers, entraîné dans un commissariat dont la lourde porte se referme dans un claquement sec,  tout comme celle du même homme mal rasé, manifestement épuisé , à la barre d’un tribunal, portaient atteinte à sa dignité ou encore à celle de son épouse montrée à la dérobée, arrivant ou sortant d’un tribunal.

Lutte pour l’audience et bagarre pour la pub

Dans les télévisions, on imagine bien, pour l’avoir vécu, la fièvre qui s’empare du rédacteur en chef qui, dans le feu de l’action, voit, sur un écran de contrôle en régie, arriver ces images -tournées par des chaînes américaines et diffusées par satellite en quasi-direct- . Il décide de les mettre à l’antenne immédiatement, sans même peut-être les avoir visionnées en totalité au préalable. Et cela alors que joue à plein la concurrence. Si BFM ne le fait pas, ce sera ITV ou LCI et vice versa. Pourquoi l’un montrerait-il davantage de prudence que l’autre ? Surtout que, dans l’implicite, se profile la course à l’audimat auquel tout patron de rédaction est très légitimement  sensible, et que, en arrière plan, prend forme la bagarre pour le pactole publicitaire auquel les directions des chaînes sont, pour le coup, très sensibilisées. C’est, pourrait-on dire, de bonne guerre médiatique.

Et cela, d’autant plus, à décharge, que, en commentaire, dans le « dit »,  la retenue est de mise : présomption d’innocence proclamée, emploi du conditionnel systématique, parole donnée aux indéfectibles amis de DSK… Mais, comme on est à la télé, et qu’il faut « de l’image qui bouge », en fond ‘écran, on va diffuser et rediffuser à satiété, en boucle, ces images « extraordinaires ». Derrière un débat d’éditorialistes, en fenêtre, à côté d’un journaliste en direct de New-York… quand bien même  ce qui est évoqué par les uns ou par l’autre n’a pas de rapport direct avec les dites images.

Et  ce n’est pas vrai que des chaines d’info. Pratiquement tous les journaux télévisés, ceux des chaînes qu’on dit grandes, que nous avons analysés durant cette semaine épique sont tombés dans la même mare aux images.

Et certes, le procédé n’est pas nouveau, chaque événement exceptionnel provoque un déluge intempestif d’images spectaculaires sans cesse rediffusées. Qu’on se souvienne, par exemple du 11 septembre.

L’œil l’emporte sur l’ouïe

Cela, c’est  ce qui se passe du côté des émetteurs d’information, du côté des télévisions. Qu’en est-il du côté des récepteurs, des téléspectateurs. Toutes les précautions de style qu’on vient d’évoquer disparaissent. Ce qui l’emporte, c’est l’image sur le discours. On a beau entendre qu’il est présumé innocent l’homme qu’on voit est en posture de coupable accablé : l’œil l’emporte sur l’ouïe. Surtout que cet œil est nourri à répétition des mêmes images. C’est une dure loi de la télévision : l’image est toujours plus forte que le commentaire. Sans doute parce que cette image est perçue de manière plus immédiate, a besoin de moins de décodage pour être comprise. Peut-être également parce que l’image s’adresse à la perception émotive quand le discours est reçu en pensée rationnelle.

Ainsi, dans un premier temps, la diffusion au plus vite d’images choc atteint son but : choquer le téléspectateur (en espérant de la sorte le garder captif devant son écran sur la même chaîne).

Ainsi, ensuite,  la répétition à tout bout de champ de ces images en arrière-plan produit deux  effets : amoindrir  le message qu’on voudrait principal (le débat d’éditorialistes ou le propos du journaliste) en le parasitant et donner la prime à l’émotion par l’image.

Pour une éthique de l’information télévisée

Sans vouloir ici convoquer les concepts de signifiant et de signifié  chers aux linguistes, cette dichotomie et en même temps cette complémentarité entre l’image et le son, entre le montrer et le dire, entre le ressenti et le pensé conduit à imaginer, voire à préconiser, une sorte d’éthique de l’information télévisée qui en prenne la juste mesure.

C’est déjà le cas, de manière intuitive, dans certaines circonstances critiques : non-diffusion d’images par trop morbides à l’occasion de grandes catastrophes, mise en garde des présentateurs avant la diffusion d’images « particulièrement violentes », consensus implicite des télévisions américaines pour ne pas montrer de morts lors de l’effondrement des tours du World Trade Center.

La responsabilité éditoriale se doit d’être globale. Il n’y a pas d’un côté le commentaire, le propos explicite et de l’autre la mise en images -dont se désintéressent  trop souvent les responsables  journalistes-. Le public, lui, reçoit l’ensemble pêle-mêle.

Souhaitons  que le charivari d’images télévisées auquel nous venons d’assister aide chacun dans les télévisions, mais aussi parmi les téléspectateurs, à en prendre pleinement conscience.

Sylvain Gouz

(21/05/2011)

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Sylvain GOUZ a créé et anime MEDIΔGOUZ, la structure qui abrite ses activités de journalisme et de conseil media...

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