MediΔgouz.fr est le site éditorial de Sylvain GOUZ,

journaliste, homme de presse écrite, de radio et de télévision.

           MEDIΔGOUZ

 

 

GILETS JAUNES : une colère multidimensionnelle…

 

Le mouvement (contentons-nous de ce terme pour l’heure) des Gilets Jaunes est à divers égards paradoxal. Il présente plusieurs particularités par rapport à ses lointains cousins, que ce soit le poujadisme des années 1950 ou le CID-UNATI de la décennie 1970.

  • ces deux effervescences sociales étaient nées dans des milieux professionnels bien précis, les commerçants, artisans, et professions libérales alors que les porteurs de GILETS JAUNES se sont recrutés aussi bien parmi les agriculteurs qu’au sein des retraités, parmi les employés aussi bien que parmi les petits patrons, dans les campagnes comme dans les petites villes,

  • Pierre Poujade -qui a donné son nom au mouvement- ou Gérard Nicoud le principal « animateur » du CID-UNATI, en l’occurrence son secrétaire général, étaient des leaders reconnus comme tels qui entraînaient les autres derrière leurs panaches (pas toujours très blancs). Si quelques porte-paroles locaux émergent des GILETS JAUNES, ils ne représentent qu’eux-mêmes et sont pour l’essentiel des créations de media qui ont un besoin irrépressible d’incarnation,

  • la cristallisation du poujadisme comme celle du CID -UNATI s’est faite très lentement, en mois sinon en années. Et pour cause, pas d’internet, pas de réseaux sociaux. Les premiers appels sur Facebook à manifester contre la flambée du prix de l’essence datent du 10 octobre. Il n’aura fallu qu’un mois pour que près de 300 000 personnes se retrouvent sur le bitume. La dynamique, la « viralité » du réseau social n’y est pas pour rien, tant s’en faut. A quoi s’ajoutent sans nul doute quelques coups de pouce politiciens plus ou moins souterrains,

  • même si les revendications, essentiellement d’ordre fiscal de ces deux éruptions sociales d’antan n’étaient pas très précises, le fait même qu’elles fussent organisées permettaient une médiation, sinon un dialogue, avec les pouvoirs publics. Au fil des reportages -parlons de micro-trottoirs- il apparaît que les GILETS JAUNES ont des récriminations éminemment diverses, disons multidimensionnelles, au-delà de la très symbolique taxation des produits pétroliers : cela va de « Macron-démission » à « laissez nous produire librement notre éthanol » sans oublier « on veut plus de pouvoir d’achat et moins de taxes » ou « pas de CSG en plus sur les retraites ».

 

La colère peinte en jaune

 

 

L’expression qui vient spontanément pour caractériser cette éruption/irruption » du GILET JAUNE dans la France de 2018 c’est le « ras-le-bol ». On pourrait dire aussi « burn-out » ou « coup de sang ». Cela couvait sans doute depuis un moment. Et puis le couvercle de la marmite sociale a sauté et la « colère », mot partagé par le Président de la République et les Gilets Jaunes, s’est répandue, peinte en jaune.

Pas très facile pour Macron et son gouvernement de faire face, cadenassés qu’ils sont par leur respect des contraintes européennes -le fameux 3% et le pacte de stabilité enfanté en son temps par le duo maudit connu sous le nom de MERKOZI-. Pas beaucoup de marges budgétaires en conséquence. Et si la modernisation du pays allait à petite vitesse dans les années 50 ou 70, Macron mène ses réformes à un train d’enfer. Et à en croire les dernières prestations du Premier ministre, aucun ralentissement n’est à l’ordre du jour.

Pas facile non plus de poursuivre voire d’accentuer sans sourciller la lutte contre le réchauffement climatique qui implique de freiner le tout-pétrole et donc de dissuader en la taxant la consommation de carburants. Pas aisé non plus d’expliquer qu’il n’existe aucun lien direct en termes financiers entre la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TIPCE) et la lutte nécessaire contre les gaz à effet de serre.

Où va l’argent ?

Les règles budgétaires sont ainsi faites que ce que rapporte la dite taxe tombe dans le pot commun du budget général de l’Etat qui, de son côté, finance notamment les éoliennes et tout ce qui concerne la transition écologique.

Il y aurait bien une solution « théorique », les taxes affectées qui existent bel et bien dans notre appareil fiscal : il en existe pas moins de 192 qui vont de celle sur la consommation d’eau qui finance les agences de l’eau à ces trois autres -sur les distributeurs de films, les sociétés de télévision et les services de VOD- qui alimentent le budget du Centre national du Cinéma.

Mais en pratique, l’affectation générale des taxes rencontrerait très vite une limite : on peut taxer l’essence pour créer des éoliennes, mais que taxer et qui taxer pour financer l’Education nationale, premier budget de l’Etat ou les Affaires étrangères ?

Ce sont certes des subtilités technocratiques dont on comprend que le GILET JAUNE de base n’a que faire. Pas plus qu’il ne peut admettre que le kérosène servi aux avions échappe à toute taxation en vertu d’accords internationaux.

En fait, ce GILET JAUNE ne veut qu’une chose : vivre mieux. Il est furieux face au citadin qui se déplace fièrement sur sa patinette électrique, alors que lui doit passer régulièrement à la pompe. Il demeure inaccessible au raisonnement (fort contestable par ailleurs) qui voudrait que la suppression de l’ISF et l’institution de la « flat tax » (taxe forfaitaire sur les revenus financiers) servent à relancer la croissance. Il est totalement rétif à entendre les chiffres brandis par l’exécutif : baisse des impôts, hausse du pouvoir d’achat… autant de « moyennes » qui ne le concernent pas directement. Et face à cela la rhétorique des dirigeants au pouvoir, aussi huilée soit-elle passe, si l’on peut dire, à côté.

Davantage que le poujadisme et le CID-UNATI, en définitive ces GILETS JAUNES font penser à la légende qui veut que la reine Marie-Antoinette ait répondu au peuple qui réclamait du pain « qu’ils mangent de la brioche ! ». Légende sans doute, mais s’ensuivit la Révolution.

Révolution…un mot qu’affectionne le Président de la République au point d’en avoir fait le titre de son livre de campagne électorale. Qu’il prenne garde cependant de ne pas traiter la colère peinte en jaune d’une partie du peuple avec la désinvolture prêtée en son temps à la reine.

 

Sylvain GOUZ

(19/11/2018

 

retour

MEDIΔGOUZ

Sylvain GOUZ a créé et anime MEDIΔGOUZ, la structure qui abrite ses activités de journalisme et de conseil media...

Lire la suite