Colères agricoles : penser plus loin que

le bout du champ

Sans doute avons-nous tous (ou presque tous) quelque chose en nous de paysan… Ceci lié à la détestation, ou au moins la désaffection, éprouvée vis-à-vis d’Emmanuel Macron, explique sans doute la popularité de l’accès de colère manifesté par une partie du monde agricole : selon des sondages effectués à chaud, autour de 80% des personnes interrogées approuveraient les manifestations actuelles.

Encore faudrait-il se demander s’il existe vraiment un « monde agricole ». Les problèmes, les angoisses, les satisfactions (y compris pécuniaires) sont loin d’être identiques du céréalier de la Beauce à l’agriculteur de montagne, du viticulteur bordelais à l’éleveur qui produit surtout du lait ou à cet autre, fort différent, spécialisé dans l’élevage porcin.

Du seul point de vue des revenus des uns et des autres, on lira avec un grand intérêt cet article de LIBERATION qui braque un projecteur salutaire sur les revenus agricoles. Ainsi en 2022, les inégalités de revenus allaient de 129 800€/an (avant impôts) pour les 10% les plus favorisés à 400€/an pour les 10% les plus pauvres, la moyenne se situant autour de  50 000€ annuels.

 Probablement y a-t-il des préoccupations proches, sinon communes, entre les uns et les autres : la réforme de la PAC (politique agricole commune), la prolifération de normes (y compris celles qui visent à réduire les empreintes carbone), les paperasseries aussi inutiles que surnuméraires, la suppression (déjà passée à la trappe) d’un avantage acquis sur le prix de leur gas-oil, la concurrence des importations (en oubliant leurs propres exportations)… La liste est fournie. Et aucun jeune Premier ministre ne parviendra à répondre à toutes les exigences de ce pseudo monde agricole. Comme souvent, on revendique dans le « toujours plus ».

Est-ce une raison pour laisser s’installer les blocages d’autoroutes, les préfectures assiégées, Paris empêché… ce qu’en d’autres temps un Président de la République aurait qualifié de « chienlit ».

 Tous derrière les tracteurs

Un brin démagogue, on s’y habitue, le ministre de l’Intérieur assume de « laisser faire » au nom de la « compassion » qu’il éprouve : « on ne répond pas à la souffrance en envoyant des CRS». Mieux, voici, toujours selon LIBERATION « un collectif d’organisations et d’associations dont les Amis de la Terre, Greenpeace, Extinction Rébellion affichent leur soutien aux manifestants et annoncent les rejoindre. ». Tandis que de son côté la CGT appelle ses militants à rejoindre les cortèges agricoles.

Oubliées les méga-bassines, le glyphosate et autres pesticides cancérogènes, les algues vertes, les abattoirs assassins… etc.

Tous unis mais pourquoi donc ? Certains appellent cela la « convergence des luttes ». J’aperçois déjà les groupies de LFI se frotter les mains : la révolution ne serait pas si lointaine… Et j’entrevois, à l’autre bord, les fans du RN se congratuler en imaginant recueillir les fruits de la colère des tracteurs lors du scrutin européen. Le lepénisme aurait de beaux jours devant lui en attendant 2027…

C’est sûr on a tous en nous quelque chose de paysan. Que cela ne nous empêche pas pour autant de penser plus loin que le bout du champ!

Sylvain GOUZ

(28/01/2024)