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journaliste, homme de presse écrite, de radio et de télévision.

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De la post-vérité à la vérité éclatée

Post-vérité, faits alternatifs (Orwell), fake news, intox voire réinformation (surtout usité par la droite extrême)… On pourrait allonger la liste avec propagande, mensonge, désinformation, rumeur…

L’intérêt de l’expression « post-vérité » tient à ce qu’elle voudrait nous dire que les temps ont changé (« The Times They Are A Changing » chantait le tout récent prix Nobel, Bob Dylan… en 1964) et que nous sommes passés, avec Alice, de l’autre côté du miroir. Le temps de cette post-vérité est-il aussi neuf que cela ?
Du point de vue des dégâts causés, peut-être. Si l’on additionne la campagne pro-brexit britannique et celle de Donald Trump, on voit deux des plus notables démocraties mondiales se sacrifier sur l’autel des mensonges pré-électoraux. Ce n’est pas rien.

Et pourtant, le complotisme - autre facette de la post-vérité - ne date pas d’hier. D’Apollo 13 au 9 septembre 2001 ont fleuri et fleurissent encore les affirmations/convictions comme quoi, chaque fois, Stanley Kubrick était derrière la caméra pour fabriquer ces événements qui n’étaient « en vérité » qu’hollywoodiens.

On pourrait remonter bien sûr bien au-delà et trouver des traces de post-vérité nécessaire dans les conseils prodigués par Machiavel au Prince. Limitons-nous à cette seule citation : «L'universalité des hommes se repaît de l'apparence comme de la réalité; souvent même l'apparence les frappe et les satisfait plus que la réalité même»*. Tout autant doit-on, à l’évidence, voir dans Hitler/Goebbels une sorte de summum du mensonge et de la propagande. Ajoutons que Staline n’était pas en reste dans le genre « manipulateur » ou « violeur » des foules pour renvoyer à l’ouvrage-référence de Serge Tchakhotine, Le Viol des foules par la propagande politique.

Rien de nouveau sous le soleil ?

Rien de nouveau sous le soleil ? Et pourtant si. Ce qui est mis en jeu aujourd’hui, par-delà le complotisme ordinaire, c’est la conviction de plus en plus en plus répandue que la réalité importe peu face aux convictions, que tout est truqué, que les élites mentent aux peuples, que les experts sont pervertis, que les chiffres eux-mêmes sont truqués. Bref, que la vérité est ailleurs. Vérité « subjective », rumeur… Orléans, sa rumeur, Edgar Morin, son enquête. Tous ces Orléanais convaincus que des jeunes femmes étaient « raptées » dans les salons d’essayage de commerçants (évidemment juif…).

Parole contre parole, voilà à quoi semble devoir ressembler tout dissensus à propos non pas d’idées –chacun garde bien sûr les siennes- mais à propos de faits. Peu importe les faits pourvu qu’on ait l’ivresse de la conviction. « Je pense que parfois nous pouvons être en désaccord avec les faits », a ainsi affirmé, lors d'une conférence de presse le 23 janvier dernier, Sean Spicer, le porte-parole du Président Trump.

Là où notre temps d’après post-modernité complique encore l’approche, c’est bien évidement avec l’irruption d’Internet. En fait, Internet, c’est un immense bazar où chacun peut être certain de trouver la vérité qu’il cherche et même de ne trouver que cette seule vérité. Sur Facebook, Twitter ou quelque autre réseau social, vous êtes amenés à choisir vos amis, vos followers, et sauf à faire montre d’une ouverture d’esprit ou d’une curiosité exceptionnelles vous choisissez surtout, voire exclusivement, des gens qui pensent comme vous ou en tous cas qui ne sont pas à vos antipodes. Du coup, vous n’aurez aucune intimité avec les « autres » vérités.


Chacun dans son couloir

Cela va bien au-delà des réseaux sociaux, puisque sur la toile elle-même se présentent à égalité d’accès autant de sites que de sensibilités, autant de sites que de « vérités subjectives ». Autant de place pour les bourreaux que pour les victimes. A chacun de choisir ses sites de référence liés à son approche particulière, subjective, de la réalité. De la sorte, un peu comme un athlète qui court un cent mètres, chacun reste strictement dans son couloir, imperméable à la vérité des autres. Mais surtout imperméable à la réalité des faits.

Il y a bien longtemps, dans une galaxie lointaine, très lointaine… nos sociétés étaient irriguées par des mass media. Traduisons : des « moyens de communication de masse ». Chacun, à raison des moyens techniques de l’époque, regardait à peu près les mêmes programmes à la télévision sur les trois ou quatre chaînes disponibles. Car, en ces temps lointains, les informations télévisées – quasi identiques d’une chaîne l’autre - sur chacune de ces chaînes étaient disponibles uniquement en direct et en flux.

Aujourd’hui, sans entamer la moindre complainte du progrès (Boris Vian), ces mass media sont évanescents. Les chaînes se comptent par dizaines - chacun son choix -. Il suffit de trois clics sur le net pour avoir accès à des informations précises. Et ne visionner que ce qui correspond à notre tropisme du moment.

Voici venu le temps des class media, des « moyens de communication catégoriels ». Un temps qui segmente les informations et les individualise parfois à l’extrême. Un temps qui, du coup, étiole le ciment social que constituait - , il y a bien longtemps… - un corpus commun d’informations et donc un relatif consensus autour de la réalité des faits.

Chacun sa vérité, c’était le titre d’une pièce de Pirandello… en 1917. Un siècle plus tard, ce passage des mass media aux class media, joint à l’explosion du net, donne ainsi à notre époque son cachet particulier, celui de ce que, faute de mieux, j’appellerai la vérité éclatée.

*Nicolas Machiavel, Discours sur la première Décade de Tite-Live (1513-1520)

 

 

Sylvain GOUZ

(18/03/2017)

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Sylvain GOUZ a créé et anime MEDIΔGOUZ, la structure qui abrite ses activités de journalisme et de conseil media...

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