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journaliste, homme de presse écrite, de radio et de télévision.

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Le prélèvement à la source, une idée pas si bonne qu'elle en a l'air

Ainsi donc revoilà le prélèvement à la source sur le devant de la scène. On le croyait définitivement enterré sous une pile de dossiers aussi morts que lui, dans le tiroir d’un bureau perdu dans les sous-sols de Bercy, aussi démonétisé qu’un Jean-Marc Ayrault congédié de Matignon sans ménagement.

Mais, à la faveur d’une étude récente sur le sujet de TERRA NOVA, et surtout de l’expression « grande réforme fiscale » inscrite noir sur blanc dans le texte de la motion majoritaire du PS en vue de son Congrès, le branle-bas fiscal revient à l’ordre du jour.

Aborder le sujet via le prélèvement à la source, c’est le faire par le petit bout, voire le mauvais bout,  de la lorgnette. En soi, le  prélèvement à la source n’affecte en rien la  « fiscalité au service de la croissance et de la justice » préconisée par le Premier secrétaire du PS et ses camarades. C’est une modalité de faire quelques économies pour l’administration dans le traitement des déclarations de revenus, c’est « une rationalisation de la gouvernance économique » comme l’affirment crûment les auteurs de l’étude TERRA NOVA.

Rapprocher l’impôt sur le revenu et la CSG

Chacun le sait, même en tournant autour du pot comme le fait François Hollande et ses gouvernements depuis 2012, la véritable réforme fiscale passe par le rapprochement, puis la fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG. Moins d’un foyer fiscal sur deux (17,6 millions, sur un total de 37,1 millions) acquitte l’impôt sur le revenu. Alors que du salarié à l’artisan, du retraité au rentier, de l’agriculteur au chômeur, pratiquement tous les Français ayant ou ayant eu une activité ou des revenus de placements sont assujettis à la CSG (contribution sociale généralisée) à laquelle est accolée la petite -taux de 0,5%- CRDS  (contribution au remboursement de la dette sociale).

L’impôt sur le revenu (IR) est, comme chacun sait sans doute, progressif selon le système des tranches du barème, ce qui aboutit à ce que ceux qui reçoivent le plus paient le plus, alors que la CSG a des taux uniques variant de 6,8 à8,2% en fonction seulement du type de revenus. Seuls les chômeurs et les retraités ayant de faibles ressources en sont dispensés.

On comprend que la fusion conduirait à un impôt unique pesant sur tous les revenus, avec des taux progressifs. D’où un effet redistributif démultiplié par rapport à celui d’aujourd’hui.

La réforme oubliée

L’idée de cette fusion est lancée dans le débat public par le livre « Pour une révolution fiscale » (La République des idées, Seuil) œuvre de trois professeurs d’économie, Camille Landais, Thomas Piketty et Emmanuel Saez. Très vite le candidat, à la candidature puis à la présidence, François Hollande, en fait ses alpha et omega. Très vite également après son élection, l’idée se perdra dans les méandres du Pouvoir. Il faut dire que les principaux directeurs du ministère des finances, mis en place sous Sarkozy, sont encore en place à ce moment et ne cachent pas leur franche hostilité au projet. L’Elysée est alors abreuvé de notes en tout genre démontrant l’inanité de la réforme fiscale imaginée. Oubliée la grande réforme fiscale. On bricolera quelques mesures sur ce terrain.

Ces adversaires de la fusion IR/CSG et à tout le moins de leur rapprochement ne manquent pas, il est vrai, d’arguments. Citons en deux :

  • le décalage d’une année entre les deux impôts : l’impôt sur le revenu porte sur les revenus de l’année précédente, la CSG taxe les revenus de l’année en cours. Une période d’adaptation est donc nécessaire pour relier les deux prélèvements, période évaluée généralement à plusieurs années
  • l’individualisation de l’impôt. Alors que l’impôt sur le revenu est construit sur la notion de « foyer fiscal », la CSG porte sur les revenus de chaque individu. D’où certaines difficultés, pour prendre en compte, par exemple, le quotient familial ou les niches fiscales diverses.

Du coup l’opération prendrait, aurait pris, du temps. Une raison de plus pour l’avoir entreprise en début de quinquennat. Le temps perdu…

Mais partisans et adversaires de la fusion, se retrouvent sur le fait que celle-ci serait liée à la mise en place de la retenue à la source. C’est ce qu’indique clairement  la motion Cambadélis. Cela nous renvoie au débat du jour.

L’étude que vient de produire TERRA NOVA, en effet,  ne mésestime pas les difficultés techniques d’une telle mise en place, tout en en célébrant les vertus. Citons ce passage éloquent : « le PAS (prélèvement à la source) apporterait une contribution effective au « choc de simplification », nécessaire à la relance économique : diminution importante de la charge administrative tant pour les ménages que pour le fisc, réduction des incertitudes économiques, renforcement de l'efficacité de la politique budgétaire et fiscale… ».

Un impôt citoyen, un impôt douloureux

Il est cependant un angle que n’aborde pas -sauf erreur- la dite étude c’est le point de vue participatif, ou si l’on préfère, démocratique : un grand mot pour dire que l’impôt direct progressif est, dans notre histoire, effectivement un grand moment de progrès démocratique (qui date de 1914). L’impôt est sans nul doute douloureux -un mauvais moment à passer- pour ceux qui le paient, mais c’est précisément ce qui en constitue la valeur citoyenne. Payer « physiquement » l’impôt, c’est assumer pleinement sa condition  de membre à part entière de la collectivité, en l’occurrence la Nation, au bon sens du terme.

Il y a du reste un argument que les partisans du prélèvement à la source ne mentionnent pas, sinon fort discrètement, c’est que celui-ci rendrait l’impôt direct quasiment indolore. Comme le sont aujourd’hui, dans la plupart des cas, les charges sociales portées sur la feuille de paie du salarié ou le relevé de pensions du retraité. Chacun regarde la dernière ligne, celle qui indique ce qu’il va réellement recevoir.

Le prélèvement à la source instituera une nouvelle ligne, disons une avant-dernière ligne sur la feuille de paie. Qui la regardera vraiment ? Qui ressentira vraiment le coût de sa citoyenneté en regard de ce qu’il reçoit de la collectivité ? Ce sera un recul démocratique évident.

Sans se vouloir, tant s’en faut, masochiste, rendre ainsi l’impôt indolore est le principal défaut du prélèvement à la source, le principal grief qu’on peut lui faire. Ce serait peut-être également son principal avantage pour les gouvernants de tous bords.

La fusion très souhaitable IR/CSG est, toujours ou presque, présentée comme contingente du prélèvement à la source. C’est une grave erreur dans les temps démocratiques troublés que nous vivons et en écho aux appels sans cesse renouvelés à un renouveau de la citoyenneté. Il y a bien sûr  moyen -avec toutes les intelligences technocratiques réunies- de concevoir cette fusion sans passer par la case prélèvement à la source.  Un obstacle de plus peut‑être, mais, pour le coup, incontournable.

Sylvain Gouz

(24/05/2015)

 

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Sylvain GOUZ a créé et anime MEDIΔGOUZ, la structure qui abrite ses activités de journalisme et de conseil media...

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