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journaliste, homme de presse écrite, de radio et de télévision.

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François Fillon et les fonctionnaires : vraies promesses et faux calculs

(ou l'inverse)

Il règne décidément un climat surréaliste autour du débat qui oppose les deux finalistes de la primaire droite/centre. On le constatera lors du débat télévisé de ce jeudi soir. « Plus belle la vie » pour certains sans doute (suppression de l’ISF, baisse de l’impôt sur le revenu…). Mais pas pour tous…

 Évoquons  rapidement  les réactions prévisibles du corps social dans son ensemble, au-delà des 4 millions de citoyens qui ont voté lors du 1er tour de ces primaires. Imagine-t-on les fonctionnaires danser de joie alors qu’un emploi sur 10 serait supprimé parmi eux ? Imagine-t-on les salariés du privé se lancer dans une gigue effrénée à la perspective de la suppression du plafond légal de durée du travail ? Imagine-t-on les chômeurs se frotter les mains face au projet de baisse de leurs allocations au bout d’un an (ce qui ne leur donnera pas des emplois pour autant) ? Et les consommateurs heureux de voir la hausse de la TVA faire flamber les étiquettes. Le trajet République-Nation a de beaux défilés de manifs  devant lui… On pourrait sans grand mal allonger cette litanie des catégories pas franchement heureuses au vu des programmes de Fillon et Juppé ‑moins distants loin de l’autre qu’ils veulent s’en donnent l’air-.

 Moins de fonctionnaires : où et comment ?

 Mais centrons-nous sur ce qui nourrit apparemment la polémique entre les deux candidats : la diminution des effectifs de la fonction publique. Moins de fonctionnaires tout compris, c'est-à-dire à la fois dans les services de l’État, dans les collectivités et dans les hôpitaux. Aujourd’hui, ils seraient autour de 5 700 000 à travailler dans ce vaste secteur public (à quoi il convient d’ajouter un petit million de « contractuels » qui ne bénéficient pas du statut de fonctionnaire). Partons donc sur la base de 6,5 millions d’agents publics au sens large. Encore que l’État central n’ait guère de moyens d’agir directement sur les agents des collectivités locales ou des hôpitaux… Mais laissons cette réserve et raisonnons globalement.

Le projet de François Fillon est donc d’alléger (sic) cet effectif de 500 000 à l’horizon 2023. Et donc d’aller vers les 6 millions d’emplois publics.

 Où et comment supprimer ces  500 000 postes ? La réponse serait : en ne remplaçant qu’un départ à la retraite sur deux et en ne renouvelant pas un poste de contractuel sur deux. Elle est d’autant moins convaincante que le candidat prévoit d’épargner les fonctions « régaliennes » de l’Etat, à savoir, l’Armée, la Police, la Justice, voire l’Éducation, mais que les départs à la retraite auront bien sûr également lieu dans ces secteurs. Donc des transferts seraient nécessaires: faudra-t-il alors affecter à l’Armée des fonctionnaires aujourd’hui chargés de lutter contre les fraudes alimentaires, à la Justice ceux qui occupent des postes aux Affaires sociales, ou à la Police les diplomates du Quai d’Orsay ? Bref, à raisonner trop globalement, on déraisonne.

 Martingale magique et calculettes en panne

Surtout, les experts du candidat ont manifestement des problèmes de calculettes. Car la martingale magique de Fillon, c’est d’augmenter la durée du travail des fonctionnaires (de 35 à 39 heures) pour compenser la baisse de leur nombre. Soit, mais pour combien d’heures de travail seraient-ils payés ?

Le candidat a d’abord répondu « 37 heures », puis renvoie désormais à une négociation ». Mais  supposons que cette équation « 39 heures payées 37 » soit acceptée par les intéressés, le compte n’y est vraiment pas. Le projet Fillon, rappelons-le, est de diminuer la dépense publique de 100 milliards d’euros en cinq ans.

Aujourd’hui, 6 500 000  fonctionnaires travaillent 35 heures et sont rémunérés sur cette base. Le traitement  moyen dans la fonction publique tourne donc autour de 2 500 € net par mois. Ce qui représente grosso modo une « facture » de 195 milliards d’euros par an. 

A la fin d’un éventuel quinquennat Fillon, il n’y aurait donc plus que 6 000 000 de fonctionnaires, travaillant 39 heures (et payés 37 heures). Leur traitement moyen passerait ainsi de 2 500 €/mois à  2 643 €/mois. Du coup, en supposant l’inflation étale et la grille indiciaire stable, la « facture » pour l’Etat, les collectivités et les hôpitaux, serait à peine moins élevée qu’aujourd’hui, se montant à 190,3  milliards d’euros.

Donc l’opération suppression de 500 000 postes publics se traduirait en définitive par une « économie » annuelle de  4,7 milliards. Même pas de quoi compenser la suppression de l’ISF (qui a rapporté plus de 5 milliards en 2015) et pas de quoi raboter vraiment la dépense publique comme l’un et l’autre des candidats de la droite et du centre s’y engagent.

 Cherchez l’erreur

Et puis, pour amorcer le processus, il est question que le passage de 35 à 39 heures intervienne dès 2017. Ce qui instantanément –toujours selon l’hypothèse 39h payées 37- ferait passer le « coût » des fonctionnaires et assimilés des 16,25 milliards évoqués à 17,18 milliards soit une « déséconomie », ou une dépense supplémentaire si l’on préfère,  de près d’1 milliard (930 millions) à la charge de l’Etat mais aussi des collectivités locales et des hôpitaux.

 On mesure par ces simples calculs -dignes de l’école élémentaire je le reconnais- toute la vacuité de l’actuelle polémique autour de ces suppressions d’emplois publics.

 Alors, cherchez l’erreur ? Où est passée la baisse massive de cette fameuse dépense publique liée à la diminution du nombre de fonctionnaires ? Ne cherchez pas trop: la réponse est dans le non‑dit: Fillon n’ose pas dire haut et fort que son projet c’est d’amener, plutôt d’obliger, les agents publics à passer de 35 à 39 heures hebdomadaires sans augmentation de salaires. Alors effectivement, la diminution du nombre d’emplois publics se traduirait par une baisse des dépenses un peu plus importante: dans notre hypothèse, l’économie serait de 15 milliards en fin de quinquennat.

On peut certes objecter à ces calculs rapides que l’on a raisonné sur un traitement moyen « net » en omettant les hiérarchies et les primes : objection valable, à ceci près que l’on a délibérément omis dans le calcul, le coût des retraites supplémentaires que devra verser l’État-employeur.

 Le service public à l’encan

Mais enfin et surtout, cette chasse aux fonctionnaires, fortement teintée d’idéologie, fait peu de cas d’une des spécificités françaises : le service public et l’égalité de tous (nécessaire encore qu’imparfaitement respectée) face à ce service public. Fermer des sous-préfectures des recettes-perceptions, des hôpitaux, … porterait nécessairement atteinte à l’essence de ce service public à la française et accentuerait encore l’inégalité entre les territoires urbains et ruraux et leurs habitants. Et surtout augmenterait encore le nombre des laissés pour compte. Mais qui donc parlait de « fracture sociale » ?

« Les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent. », la phrase est prêtée à Henri Queuille, un cacique de la 3ème et pour une part de la 4ème République, au siècle dernier. François Fillon clame haut et fort qu’il fera mentir cette maxime. Si on veut le croire, la France se prépare des lendemains bien particuliers. Ah les beaux jours !

 

Sylvain GOUZ

(24/11/2016)

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Sylvain GOUZ a créé et anime MEDIΔGOUZ, la structure qui abrite ses activités de journalisme et de conseil media...

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