De l‘argent pour la télévision publique : pourquoi pas l’impôt…
Un très léger coup de pouce à la redevance télé (+1 €), le refus d’un élargissement de l’assiette de la dite redevance aux « autres écrans » (ordinateurs, tablettes, portables) qui permettent l’accès à la télévision, le même refus opposé à la réintroduction de la publicité sur France Télévisions après 20h, voici donc France Télévisions conduite à la diète budgétaire, voici donc Delphine Ernotte à peine arrivée à la tête de l'entreprise renvoyée dans ses buts.
Elle qui
demandait « fromage et dessert »
se voit « mise au régime » selon
ses propres termes. Au-delà de
cet épisode culinaire, reste
posé le lancinant problème du
financement de l’audiovisuel
–pas seulement public du reste –
en France.
La redevance autrefois, contrepartie d’un service rendu
Evoquons
d’abord cette redevance. Sa
naissance remonte à … 1933, date
à laquelle elle ne s’appliquait
bien évidemment qu’aux
récepteurs radio. Ces derniers
en furent exonérés en 1980.
Seule subsistait donc une
redevance pour la possession de
récepteurs de télévision apparus
progressivement dès les années
50. Redevance destinée à
financer l’audiovisuel public
(radio et télévision). A
l’époque, et jusqu’à la création
de CANAL+ en 1984, le paysage
télévisuel français ne comptait
que des chaînes publiques (TF1,
Antenne2, FR3) et la télévision
ne pouvait donc être reçue que
par des récepteurs (téléviseurs)
ad hoc. La redevance constituait
donc de manière effective la
contrepartie précise d’un
service rendu.
Depuis trente ans, non seulement
le nombre de chaînes privées à
décuplé, que dis-je centuplé,
mais on peut accéder aux
programmes télévisés -publics ou
privés- sans téléviseur, via un
ordinateur, une tablette, un
téléphone portable… Du coup, on
ne voit plus guère de
justification bien claire à
ladite redevance. Tel assujetti
à la redevance peut être un
téléspectateur addictif sans
jamais regarder aucune chaîne
publique (France 2, France 3,
Arte ou France 24) ; tel autre
ne paie aucune redevance mais
accède à l’ensemble des chaînes
disponibles via son smartphone
ou sa tablette.
Au point que les pouvoirs publics, conscients sans doute de l’inanité du terme de redevance audiovisuelle, l’ont rebaptisée en 2009 « Contribution à l'audiovisuel public ». Bref la redevance, dans ses contours actuels est une sorte d’OVNI, une « vache sacrée » face à laquelle tout le monde recule. Et du reste, l’audiovisuel public (Institut National de l’Audiovisuel excepté) ne rechigne pas à compléter ses ressources par cet autre mode de financement qu’est la publicité (autorisée sur les chaînes publiques depuis 1968 et désormais proscrite au-delà de 20h sur celles de France Télévisions) et de manière plus chiche par des dotations assez arbitraires de l’Etat.
Chaînes
privées, gratuité en
trompe-l'oeil
Pas de redevance
ni de dotation publique pour les
chaînes privées Pas de
redevance, au point que le
téléspectateur naïf peut
imaginer que ce sont en quelque
sorte des « chaînes gratuites ».
Il se tromperait puisque, naïf
qu’il est, il contribue à leur
financement par le biais de la
publicité qu’il paie lui-même
avec l’achat de n’importe quel
produit de consommation. Il y
aurait beaucoup à dire et à
médire sur l’utilité sociale de
la publicité, le fait est
qu’aujourd’hui c’est elle qui,
au-delà des télés privées ou
publiques, on l’a vu, finance
pour une large part l’ensemble
des journaux et des radios, à
quelques rares exceptions près.
La publicité est donc un prélèvement que paie tout un chacun. Un peu comme la TVA, c’est un prélèvement inégalitaire qui pèse sur la consommation et non sur l’épargne. Et, avantage pour ses bénéficiaires comme pour les pouvoirs publics, ce prélèvement dont personne n’a vraiment conscience est parfaitement indolore. Seul défaut, la manne publicitaire est liée à la conjoncture économique et se raréfie un peu en ces temps de vaches maigres.
Son lien avec la télévision ? a priori aucun si ce n’est que la publicité vise les consommateurs/téléspectateurs et va donc se loger à où est l’audience. Donc pour recueillir de la publicité, il faut « faire de l’audience » et pour cela se soumettre à la loi du plus petit commun dénominateur favorisant l’audience ce qui n’est pas sans conséquence sur la qualité (ou la médiocrité, c’est selon) des programmes…
Chaînes
payantes : je paie pour ce que
je regarde
A côté de la redevance et de la publicité, il existe encore un autre mode de financement de la télévision : l’abonnement ou le péage. C’est à celui-ci que recourent nombre de chaînes, celles qui ne sont diffusées que par câble ou stellite, ou celles qui se proclament « payantes », sur la TNT ou via les fournisseurs d’accès au câble ou à internet (les FAI dans le jargon). L’abonnement apparaît comme le mode de financement le plus directement lié au service fourni. Je veux regarder telle ou telle chaîne, je paie pour cela et juste pour cela.
Avec quelques
accommodements puisque sont
proposés –voire imposés- des
abonnements groupés dits en
bouquets de chaînes (bouquet
sport, bouquet cinéma, etc),
mais enfin le système apparaît
assez pur. A une restriction
près, et elle est de taille,
c’est que être financé par
abonnement n’exclut pas, tant
s’en faut, de l’être également
par la publicité.
Le cas d’école c’est bien sûr CANAL + chaîne créée en 1984, chaîne payante (il faut être abonné pour y avoir accès en totalité) mais qui a droit en plus à la publicité, notamment durant des plages horaires dites « en clair » c’est à dire visibles, pour le coup, sans péage. Ainsi, sur le marché publicitaire TV, Canal+ se situerait en troisième position derrière TF1 (autour de 50% du total) et non loin de M6 (autour de 25%). De cette façon, la chaîne cryptée, comme on disait à sa création, joue sur les deux tableaux : abonnement et publicité.
A service public,
financement public
Au delà de
cette courte fresque du paysage
audiovisuel qui dépeint des
mélanges impurs dans un
clair-obscur que nul ne veut
éclairer, il existerait,
peut-être, une ultime voie de
financement pour l’audiovisuel
public, ce serait tout
simplement l’impôt, à
l’exclusion de toute redevance
spécifique, et de toute
ressource publicitaire. Bien
plus qu’une clarification
nécessaire, voilà qui libérerait
les chaînes dites de service
public -ce qu’elles ne sont
malheureusement pas toujours-
des contraintes de l’audience au
jour le jour et de leurs
conséquences sur les programmes.
« A service public, financement
public », on ne voir nul motif,
si ce n’est de contingence
politique ou idéologique, qui
interdise que l’audiovisuel
public figure au Budget de
l’Etat au même titre que
l’Education nationale,
l’entretien des routes ou la
Défense. Encore faudrait-il
alors garantir la pérennité de
ses ressources et son
indépendance.
A l’heure où Bercy racle ses
fonds de tiroir pour boucler le
budget 2016, cette idée
apparaîtra bien sûr irréaliste
pour ne pas dire saugrenue.
Pourtant on voit bien
qu’aujourd’hui avec ce système
de financement bâtard qui
mélange tous les genres, c’est
bien l’Etat qui, déjà, a le
dernier mot.
Sylvain Gouz
(17/9/2015)