MediΔgouz.fr est le site éditorial de Sylvain GOUZ,

journaliste, homme de presse écrite, de radio et de télévision.

        MEDIΔGOUZ

 

 

Révolution improbable…mais pas impossible

Le 5 décembre 2019 s’inscrira-t-il dans la lignée des grandes secousses qui ont marqué l’histoire de ce pays de juillet 1989 à octobre 1995 en passant par mai 1968 pour aller à grands traits ? Autrement dit, une révolution est-elle en demi-sommeil au coin de la rue ? La question taraude les éditorialistes autant que les sociologues, les politiques autant que les syndicalistes. Ajoutons-y notre grain de sel.

 

On peut avancer déjà qu’un changement de cap radical paraît peu probable. La population française peut se décrire schématiquement en trois groupes :

-          10% de pauvres : chômeurs en fin de droits, SDF, petits entrepreneurs, professions libérales en mal de clientèle, auto-entrepreneurs à la dérive… sans oublier les immigrés avec ou sans papiers. La liste n’est pas exhaustive

-          10% de riches dont 1% de très riches et 0,1% de très, très, très riches

-          80% de participants à ce qu’on a coutume d’appeler la « classe moyenne ».

 

De tous, seuls les pauvres souhaitent et ont intérêt en regardant leurs fins de mois, à ce changement radical, autrement dit à ce que les cartes des revenus et des richesses soient rebattues et distribuées autrement. Un exemple criant : ceux qui ne sont pas assujettis à l’impôt sur le revenu ne bénéficient évidemment pas des allègements de cet impôt. Ils n’en acquittent pas moins les autres impôts (TVA, taxe sur les produits pétroliers…).

 

Les riches, pris globalement, sont plutôt axés sur le thème « pourvu que ça dure ». Et pour le moment, « ça dure ». Illustration :  lors du dernier week-end, d’un côté l’anniversaire chèvre-chou des gilets jaunes, de l’autre un succès inédit des ventes aux enchères de grands crus aux Hospices de Beaune (12,3 millions de recettes, record battu) tandis que l'on s'est bousculé pour devenir actionnaire, petit ou gros, de la Française des Jeux -il n'y en aura pas pour tout le monde!-. Tout va bien pour les riches. Ouf !

Quant à nos 80% logés dans la classe moyenne, ils voudraient certes que ça change un peu, un peu mais pas trop, mais surtout pas radicalement. Du beurre dans les épinards mais toujours les mêmes épinards si l’on peut dire, autrement dit le même mode de vie, axé sur le « toujours plus » dans la consommation, elle-même nourrie par la publicité envahissante.

 

A qui perd gagne

 

Et l’on constate bien ces clivages lorsqu’on observe les gagnants et les perdants de la politique économique macronienne : un gros geste de début de quinquennat pour les riches (suppression de l’ISF et introduction de la taxation forfaitaire sur les revenus du capital) suivi d’une assez jolie caresse fiscale pour la classe moyenne, principale bénéficiaire des baisses d’impôts proclamées et célébrées à la cantonade à l’occasion de la présentation et du vote du budget 2020. Et pas grand’chose pour les pauvres sinon quelques légers coups de pouce aux minima sociaux.

 

A côté de cette approche par les groupes sociaux, existent bien sûr des colères localisées : agriculteurs, personnels de santé, cheminots, agents de la RATP, fonctionnaires dans l’Education… La grande crainte (ou le grand espoir, c’est selon) c’est ce qu’il est convenu d’appeler la « coagulation des luttes ». Là encore cela paraît peu envisageable, mais pas impossible. Peu envisageable car, par exemple,  la défense de leurs statuts et de leurs « régimes  spéciaux » de retraite par les cheminots et les agents de la RATP n’a pas grand’chose à voir avec la grogne -litote- des personnels des hôpitaux qui réclament de meilleurs salaires et conditions de travail.

 

Des bottes bien droites ou des pataugas

 

Mais sait-on jamais. Une coagulation n’est pas impossible comme l’a montré le précédent de l’automne 1995, lorsque derrière (déjà) la défense des régimes spéciaux de retraites (SNCF, RATP, EDF), une bonne partie des Français avaient fait, comme on disait, « la grève par procuration ».

Il faut rappeler, cependant, qu’Alain Juppé, alors Premier Ministre, avait tapé très fort mariant la suppression des régimes spéciaux à des économies sur la sécurité sociale, à l’allongement pour les fonctionnaires de la durée de cotisations pour la retraite et à un sérieux coup de rabot sur les allocations familiales. Et que, au-delà même de son plan, Juppé s’était voulu « droit dans ses bottes » durant plusieurs semaines ce qui a, bien évidemment, attisé le feu social.

 

2019, près d’un quart de siècle plus tard, et après une année de giletjaunisme, l’exécutif serait plutôt en train de s’équiper de pataugas aptes à s’adapter au sable mouvant social. « Rien n’est arrêté, tout est sur la table », « Une grande conférence sociale, pourquoi pas ? » répète-t-on inlassablement de l’Elysée à Matignon. Si la rigidité était le propre de Juppé 1996, la flexibilité est celui de Macron-Philippe 2019.

 

Les jeunes, les retraités… et les autres

 

Autre approche et même incertitude (improbable mais pas impossible) si l’on découpe maintenant les Français selon le critère de l’âge. Les jeunes d’aujourd’hui, loin de leurs ancêtres de 1968 sont probablement plus résignés et moins enclins -dans leur grande majorité- à déterrer les pavés pour les lancer sur les CRS/SS qu’à rechercher des petits boulots pour joindre les deux bouts.

Et les retraités -anciens soixante-huitards pour certains- se satisferaient volontiers de la consolidation de leurs pensions et ne sont d’évidence pas concernés par le nouveau régime de retraites envisagé par Macron. On les voit mal descendre dans la rue, s’interrogeant sur le mode de calcul de la valeur du « point » dans ce nouveau régime.

Et tous les autres, disons entre 30 et 60 ans, il leur faudra choisir entre leurs différentes casquettes : travailleurs salariés ou non, consommateurs éclairés ou non, épargnants floués ou non, usagers des transports bien ou mal lotis. Selon leur choix, ils descendront dans la rue … ou non.

 

Climat et fin du monde

 

Enfin, quatrième dimension, si l’on peut dire, le rôle de la prise de conscience écologique dans tout cela. Nul ne conteste plus les changements climatiques, de canicules en inondations. D’un côté les collapsologues qui regardent ou souhaitent même pour certains voir notre monde industriel s’effondrer, de l’autre les écolo-activistes pour qui une révolution verte est une nécessité urgente. Les uns ou les autres seront-ils à côté des cheminots et traminots malgré leurs focalisations différentes et par certains points opposés ? encore une belle inconnue.

 

Quelques semaines avant ce 3 mai 1968 qui vit la Sorbonne être occupée par les étudiants, ce qui donna le top-départ aux « événements », un illustre confrère, Pierre Viansson-Ponté, titrait son éditorial dans LE MONDE « Quand la France s’ennuie… ». Sa relecture vaut le détour. A quelques encablures de ce 5 décembre, redouté ou espéré, ce n’est pas l’ennui qui prévaut mais une sorte d’incertitude inquiète et un peu délétère.

 

Révolution improbable, mais pas impossible.

 

Sylvain GOUZ

(20/11/2019)

 

retour

MEDIΔGOUZ

Sylvain GOUZ a créé et anime MEDIΔGOUZ, la structure qui abrite ses activités de journalisme et de conseil media...

Lire la suite