MediΔgouz.fr est le site éditorial de Sylvain GOUZ,

journaliste, homme de presse écrite, de radio et de télévision.

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Le vrai, le faux, l’info

L’affaire Dupont de Ligonnès que chacun a en tête, renforce sans nul doute la défiance assez générale vis-à-vis des médias.

Les journalistes seraient des menteurs patentés qui ne songent qu'à l'audience, l'audience, l'audience. Phénomène d'autant plus criant lorsqu'il s'agit de chaînes d'information continue.

Cette affaire qui s'est dégonflée aussi vite qu'elle est montée en gamme, conduit à quelques réflexions.

Tout d'abord, à propos de la vérification d'une information. Il semble bien que des informateurs habituellement fiables, autrement dit des sources policières, soient à l'origine de tout. Sans doute est-ce un travers de ce qu'on appelle le journalisme d'investigation, que d'avoir des relations particulières avec ces dits informateurs. Une relation qui s’apparente trop souvent au donnant-donnant, le journaliste étant « utilisé » pour favoriser les desseins de l’informateur. Mais ceci ouvre un autre débat…

Sauter le pas

Mais lorsque ces sources -encore mal identifiées précisément à ce jour et non officielles- confirment une rumeur qui vient d'Écosse et que, cerise sur le gâteau, les dépêches d'agence entérinent cette pseudo information, est-il besoin d'aller chercher plus loin ? Le pourrait-on vraiment ? Comment vérifier ce qu'il en est ? Aucun média français, que je sache, n'a de correspondant permanent en Écosse. On va donc prendre pour argent comptant le fait qu'un homme recherché depuis des années a été identifié -par ses empreintes digitales- puis arrêté en Écosse. Une des règles du journalisme veut, ou plutôt voudrait, qu’une information soit fiable dès lors qu’elle est validée par au moins deux sources. En l’occurrence, on en était éloigné. Mais on saute le pas.

De là à se mettre en édition spéciale, à casser la « une » du journal prévue pour le lendemain, bref à en faire un événement de force 10... Chacun d'ailleurs le lendemain, la baudruche s'étant dégonflée, a battu sa coulpe avec plus ou moins de vigueur. D’une certaine façon tous ces media qui ont plongé dans l’affaire Dupont de Ligonnès se sont fait piéger. Ils n’ont pas menti, au sens strict du terme, puisqu’au moment de la déferlante sur ce faux-vrai Dupont, tous croyaient à la « vérité » de l’information qu’ils n’étaient pas en mesure de vérifier. Il y avait bel et bien en Ecosse, un individu identifié comme tel, empreintes digitales à l’appui. Et du coup chacun a lâché la bride dans sa rédaction sur le rappel des faits, sur la traque du personnage, sur les réactions diverses etc, etc,.  Quitte bien sûr à en faire trop, beaucoup trop.

Un faux charnier en Roumanie

Cette affaire, ce faux-pas assez généralisé (mettons à part France-Culture, Le Monde et quelques autres qui ont fait d’emblée profil bas), renvoie à ce qui a pendant des années été présenté comme un mensonge médiatique : le faux charnier de Timisoara.

Rappel des faits :

La scène se situe à Timisoara, le 21 décembre 1989, des émeutes éclatent dans cette petite ville roumaine . Une importante manifestation est réprimée dans le sang. On compterait les morts par dizaines.

Aussitôt les media du monde entier (américains, japonais et bien sûr ouest-européens…) envoient des reporters, des équipes de télévision… dans ce qui apparaît déjà comme le prologue de la révolution roumaine.

Le lendemain, Ceaucescu, dirigeant communiste qui tient la Roumanie sous une poigne de fer, organise un meeting qui se veut de propagande en sa faveur sur la grand’place de Bucarest. Mais les choses tournent mal pour le maître de la Roumanie, la foule manifeste violemment contre lui, et le contraint à se réfugier dans son palais, puis à prendre la fuite en hélicoptère…

Ce soir-là, les télévisions du monde entier peuvent suivre en direct les événements. Elles reçoivent des flots d’images. Parmi celles-ci, une séquence montre des cadavres allongés dans un cimetière. Le commentaire -roumain- affirme qu’il s’agit du « charnier de Timisoara ». Sur la foi de ceci, les télévisions diffusent les images comme telles -d’autant que, pour TF1 en tout cas, elles sont authentifiées par un journaliste de la rédaction, présent sur place-.

On apprendra ensuite -pour ma part directement par un employé du crématorium de Bucarest- que les « vrais » morts de la répression de la manifestation de Timisoara ont -sur ordre des Ceaucescu- été transportés immédiatement à Bucarest et incinérés.

A Timisoara pendant ce temps, sur la pression des journalistes qui « demandent à voir les morts », les autorités provisoires font transporter dans le cimetière tous les cadavres qui restent à la morgue et qui n’ont donc rien à voir avec les affrontements de la veille.

L'archétype du mensonge médiatique

Ainsi prend corps l’histoire du « faux charnier de Timisoara » qui reste -à tort- l’archétype du « mensonge médiatique », la presse écrite s’étant faite piéger tout autant que les télévisions. Pas de faux charnier, mais des faux cadavres…

De cet imbroglio de Timisoara à l’affaire Dupont de Ligonnès, il y a bien sûr un certain lien, à savoir que lorsque l’on parle de « mensonge médiatique » à ce propos on se trompe de cible. En l’occurrence, dans un cas comme dans l’autre ce ne sont pas les media qui ont menti mais la réalité qui s’est dérobée, qui a été truquée ou si l’on préfère trafiquée : substitution de cadavres ici, fausse identification d’un vrai présumé coupable là. Un mensonge du réel en quelque sorte.

Il ne s’agit aucunement de prétendre que les media ne mentent jamais -les exemples de vrais mensonges ne manquent malheureusement pas- mais que, il leur arrive aussi de se faire piéger…à l’insu de leur plein gré. Ce qui ne les exonère en rien de leur responsabilité mais, à l’inverse, les oblige à exercer une vigilance accrue… Souhaitons que cette leçon soit reçue et surtout retenue. Il en va de la crédibilité de la presse et des journalistes, si déterminante pour notre vie démocratique.

Sylvain GOUZ

(20/10/2019)

 

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Sylvain GOUZ a créé et anime MEDIΔGOUZ, la structure qui abrite ses activités de journalisme et de conseil media...

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